Mise en oeuvre du passe sanitaire : les points en discussion entre députés et sénateurs

Les députés et sénateurs qui font partie de la commission mixte paritaire se réunissent ce mardi 2 novembre à 13h30 afin de trouver un accord sur un texte définitif pour le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, alors que le Conseil d'Etat a suspendu vendredi le décret ayant supprimé les autotests des tests permettant l'obtention du passe sanitaire.

Les deux versions en présence, celle votée par l'Assemblée le mercredi 20 octobre et celle votée par le Sénat le jeudi 28 octobre, diffèrent sur plusieurs points importants, l'enjeu essentiel portant sur la limite, notamment temporelle, fixée aux pouvoirs attribués au gouvernement pour faire face à l'épidémie de Covid-19, mais aussi sur les modalités de mise en œuvre du passe sanitaire. 

Jeudi dernier, les sénateurs ont voté (158 pour, 106 contre) un texte reprenant pour l'essentiel les dispositions modifiées par leur commission des lois, qui avait limité à la date du 28 février 2022 la prorogation de la possibilité d'imposer le passe sanitaire et d'activer des dispositions du type adaptation du taux horaire de l'activité partielle (lire notre article).  Pour les sénateurs, le Parlement doit exercer un contrôle régulier sur les prérogatives données au gouvernement. Certes, la version votée en séance par le Sénat octroie des pouvoirs importants au Premier ministre. Ainsi, du 16 novembre 2021 au 28 février 2022, le gouvernement peut prendre diverses mesures fortes pour endiguer une reprise épidémique (réglementation voire interdiction de la circulation des personnes, de l'ouverture au public d'établissement, du rassemblement de personnes, exigence du passe sanitaire, etc.). Mais ces pouvoirs sont quelque peu encadrés par de nouvelles précisions sénatoriales.

Le Sénat fait référence à la population éligible au vaccin

Ainsi l'exigence d'un passe sanitaire (certificat de vaccination, ou test négatif y compris au moyen d'un autotest -lire notre encadré-, ou certificat de rétablissement) pour accéder, à partir de 12 ans, à certaines activités (loisirs en intérieur, restauration, foires, salons, etc.) ne pourrait être prévue que dans les départements où le schéma vaccinal complet contre la Covid-19 est inférieur à 80% de la population éligible à la vaccination, et dans lesquels une circulation active du virus est constatée, et "mesurée par un taux élevé d'incidence de la maladie Covid-19".

La version sénatoriale prévoit par ailleurs que les lieux "d'exercice de la démocratie sont exclus des lieux dont l'accès peut être interdit" (voir l'amendement), que les élus locaux puissent donner un avis sur les mesures sanitaires envisagées par le préfet (voir l'amendement), que les personnes vaccinées hors de France puissent obtenir un passe sanitaire, et que les personnels des établissements d'accueil de jeune enfant qui ne sont pas des professionnels de santé soient exclus de l'obligation vaccinale (voir l'amendement). Enfin, la reconduction de ces mesures au-delà d'un mois nécessiterait une loi autorisant leur prorogation.

L'Assemblée favorable à une prorogation du passe jusqu'au 31 juillet 2022

Les députés, eux, avaient choisi de suivre le gouvernement qui leur demandait de proroger jusqu'au 31 juillet 2022 la fin du cadre juridique de l'état d'urgence, fixé aujourd'hui au 31 décembre 2021. Dans la version votée en séance, les députés n'avaient pas repris le texte de leur commission prévoyant un déclenchement du passe sanitaire dès lors qu'un taux d'incidence, dans un département, était égal ou supérieur à 50 pour 100 000 habitants durant une semaine. L'Assemblée a choisi in fine de ne pas territorialiser la mise en œuvre du passe sanitaire. L'efficacité du passe a reposé "sur une logique essentiellement nationale qu'on ne peut abandonner aujourd'hui", a soutenu le rapporteur Jean-Pierre Pont.

Dans la version votée par les députés (135 pour, 125 contre), la mise en œuvre du passe sanitaire, qui serait donc possible jusqu'au 31 juillet 2022 de même que différentes dispositions (activité partielle par exemple), serait conditionnée "aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d’incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation". En outre, les députés avaient renforcé la sanction punissant le fait de fournir un faux passe (5 ans de prison, 75 000€ d'amende).

Si la commission mixte paritaire trouve aujourd'hui un accord sur un texte commun, celui-ci sera soumis très rapidement pour une approbation formelle aux deux chambres. Dans le cas inverse, l'Assemblée aura le dernier mot.

Ajoutons que ce sujet de la situation sanitaire confronte les parlementaires et le gouvernement à la recherche d'un équilibre entre le retour à la vie normale et le risque d'une reprise épidémique cet hiver, du fait d'un moindre respect des gestes barrières mais aussi d'une baisse possible de l'immunité procurée par les vaccins. Mais ce débat, qui intervient dans la perspective de la présidentielle de 2022, sera sûrement marqué par des discussions très politiques dans les prochains mois qui mettront aux prises Richard Ferrand (LREM), le président de l'Assemblée (LREM), et Gérard Larcher (LR), le président du Sénat (notre photo). 

 

Le Conseil d'Etat suspend le décret ayant supprimé l'autotest de la liste des tests justifiant l'absence de contamination à la Covid-19

Dans une ordonnance de référé rendue le vendredi 29 octobre (lire en pièce jointe), le Conseil d'Etat suspend l'exécution du décret n°2021-699 du 14 octobre 2021. Ce décret a supprimé de la liste des tests justifiant l'absence de contamination (et ouvrant droit donc au passe sanitaire) les autotests y compris réalisés sous la supervision de professionnels de santé. Pour le Conseil d'Etat, le gouvernement n'a avancé aucun motif d'efficacité justifiant la suppression de l'autotest, "alors que son coût moindre permettrait de compenser une partie des conséquence financières de l'arrêté mettant fin à la prise en charge systématique par la sécurité sociale des examens de dépistage ou des tests de détection du Sars-Cov-2". Le Conseil d'Etat souligne en effet que l'impossibilité d'accéder à des autotests (d'un coût de 12,50€ contre 25 à 50€ pour les autres tests) est susceptible "d'accroître la charge financière que représente la fin de la prise en charge des tests (...) pour les personnes concernées, en particulier pour celles qui doivent justifier régulièrement de leur absence de contamination à la Covid-19 pour exercer leur activité professionnelle".

En revanche, le Conseil d'Etat ne suit pas les requérants, selon lesquels le fait de subordonner certaines activités à l'obligation de détenir un passe sanitaire (et d'un donc d'un test onéreux pour les non-vaccinés) constitue désormais une obligation disproportionnée, au regard de l'atteinte aux libertés d'aller et venir, d'exercer un travail et d'entreprendre, par rapport aux objectifs de santé publique. Pour le juge administratif, le développement d'un accès gratuit au vaccin, l'évolution du contexte sanitaire et la charge financière que représente la gratuité des tests "sont de nature à justifier qu'il soit mis fin à cette prise en charge".

 

Par Bernard Domergue

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