Télétravail : des recommandations de l’ANI peu prises en compte par les entreprises

L’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) et l’association Réalités du dialogue social (RDS) ont passé au crible 2300 accords sur le télétravail conclus en 2021, pour mesurer l’influence de l’ANI de novembre 2020, qui s’avère relative.

Les accords d’entreprise relatifs au télétravail ont, sans surprise, explosé depuis l’apparition du Covid-19, passant de 400 accords conclus au niveau national en 2016 à quelque 3000 par an en 2021. Mais quel a été l’impact de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 sur leur contenu ? C’est ce qu’ont tenté de mesurer l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) et l’association Réalités du dialogue social (RDS) à partir des textes conclus en la matière en 2021 et publiés sur le site Légifrance.

Leur étude commune, rendue publique mercredi lors d’un webinaire, fait état d’une influence relative de l’ANI conclu en pleine pandémie par l’ensemble des organisations patronales et syndicales à l’exception de la CGT.

2 300 accords passés en revue, 110 analysés plus finement

L’Orse et RDS ont passé en revue les 2 300 accords conclus entre décembre 2020 et décembre 2021 portant uniquement sur le télétravail, en excluant les accords liés uniquement au Covid.

Premier constat, la référence à l’ANI dans le préambule des accords est assez rare sur ce total mais augmente sur la période, passant de 9 % des textes début 2021 à 21 % en fin d’année. "Il y a un délai d’appropriation de l’ANI, mais de fait, la plupart des accords se réfèrent uniquement à l’article L.1222-9 du code du travail", ont constaté les deux auteures de l’étude, Elsa Martinez de RDS et Lydie Recorbet de l’Orse. Parmi les textes se référant à l’ANI, 110 accords conclus au dernier trimestre 2021, dans des entreprises qui n’avaient pas antérieurement d’accord télétravail, ont été analysés de manière plus poussée.

Alors que la diffusion du télétravail est fortement liée à la crise sanitaire, l’étude révèle que peu d’accords ont repris la recommandation de l’ANI d’anticiper au mieux et organiser le recours au télétravail en période exceptionnelle (point 7 de l’ANI). Sur les 110 textes, seuls deux font référence au plan de continuité de l’activité, les autres se contentant dans le meilleur des cas de rappeler que l’employeur peut décider du recours au télétravail par décision unilatérale en cas de circonstances exceptionnelles, comme prévu par le code du travail.

Pas d’analyse poussée des missions télétravaillables

Concernant les postes éligibles, l’ANI invitait à une analyse concertée, avec les représentants du personnel, des "activités" télétravaillables dans l’entreprise (point 2). "Cela devrait permettre d’accorder le télétravail à des salariés pour certaines de leurs missions, même si leur poste est a priori non télétravaillable", a expliqué Elsa Martinez de RDS. Les accords analysés montrent pourtant une timide extension du périmètre des postes éligibles, les trois-quarts d’entre excluant une ou plusieurs catégories de salariés de leur périmètre (stagiaires, apprentis, salariés en intérim, CDD, temps partiel). Les deux associations incitent les entreprises à analyser plus finement les fiches de poste pour élargir le périmètre des salariés concernés, en rappelant que la possibilité de télétravailler est de plus en plus prise en compte par les candidats au recrutement.

Les accords s’avèrent également assez pauvres en matière de prévention, alors que le télétravail est porteur de risques psychosociaux (isolement, surcharge de travail) et de risques physiques (sédentarité, addictions, postures de travail). L’accompagnement concret des managers et des salariés est peu évoqué. 45 % des accords prévoient une formation au télétravail mais il s’agit souvent d’actions de simple sensibilisation, sous forme de modules de e-learning. Sur 110 accords, deux seulement prévoient l’inscription du télétravail dans le document unique d’évaluation des risques et cinq prévoient une cellule d’accompagnement psychologique. "La préservation du collectif de travail est mentionnée mais le plus souvent pour justifier la limitation du nombre de jours de télétravail par semaine", pointe Elsa Martinez. 

Un accord sur deux ne prévoit aucune indemnité pour les frais

Concernant le lieu de travail, la moitié des accords interdit le télétravail dans un lieu autre que le domicile. Alors que le télétravail est souvent mis en place à l’occasion d’un passage au flex office, celui-ci apparaît dans seulement un accord télétravail sur les 110, les deux sujets étant manifestement traités de manière séparée.

Quant à la question épineuse des frais engagés pour le travail au domicile, 52 % des accords n’accordent aucune allocation, les 48 autres accordant une indemnité mensuelle allant de 10 à 40 euros, ou 2 euros par jour en moyenne, selon le nombre de jours télétravaillés.

Enfin, les enjeux environnementaux apparaissent dans seulement 25 % seulement des 2300 accords conclus en 2021. 10 % font référence au développement durable, et 10 % à la responsabilité sociale et environnementale.

 

Par Fanny Doumayrou

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